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par Arkaron » ven. avr. 03, 2009 1:13 am
Et ben voilà, j'ai terminé La Voix du Feu.
C'était très bien.
Le livre commence fort: un jeune homme du néolithique, un peu simple d'esprit, narre son aventure pour le moins tragique à travers un langage archaïque, dépouillé (entre autre) de la notion de temps. Les mots sont donc peu variés et reviennent très régulièrement, et les règles contemporaines de la grammaire sont souvent transgressées. Il en résulte une lecture étouffante et surtout assez éprouvante, qui oblige parfois à relire les phrases et les réinterpréter de façon plus intelligible. Ce premier chapitre d'une cinquantaine de pages peut dérouter, voire décourager, mais ça ne pose pas un problème majeur, étant donné que le conseil de Neil Gaiman ("commencez où vous voudrez") est tout à fait applicable. Personnellement, j'ai quand même commencé par celui-ci, bien qu'il faille y passer plus de temps que d'habitude. De plus, ça n'est pas tellement la façon de raconter qui étonne, mais plutôt l'habileté de l'auteur (et par extension du traducteur) à véhiculer des émotions très puissantes grâce à ce style d'écriture. La conclusion atteint un registre incroyablement pathétique.
L'évolution chronologique continue avec une histoire se déroulant 2500 ans avant J.C. Cette histoire, à la fois intrigante, lugubre et amusante (non sans rappeler certains passages des Diaboliques, d'Aurevilly) utilise un langage cru teinté de quelques résidus d'expérimentations linguistiques se voulant fidèles à la façon de parler de l'époque. Un vrai bonheur.
La troisième nouvelle met en scène un échassier partant à la pêche plusieurs jours. Alors que Moore offre une exploration voyeuriste de ses pensées, le personnage se retrouve finalement dans une situation inattendue. Et cette fin magnifique laisse planer un doute sujet à de multiples interprétations. Splendide. J'ai trouvé La Tête du Doclétien moins prenante, bien que quelques réflexions du personnage soient intéressantes. La chute est quelque peu convenue, mais reste efficace. Rien d'exceptionnel ici.
Avec Les Saints de Novembre, le livre repart sur les chapeaux de roues grâce à une histoire absolument géniale, mêlant parfaitement religion, mythologie, psychologie, superstition et réincarnation. Un récit poignant.
En boitant vers Jérusalem est un récit dans la même veine, et même si les éléments mystiques se font bien sentir, la folie dans laquelle semble sombrer le personnage principal est extrêmement bien décrite. Un peu en deçà des Saints de Novembre tout de même.
Moore enchaîne avec une nouvelle excellente, mêlant à la perfection irréalisme, humour, références historiques plaisantes (et récurrentes chez l'auteur --Remember, Remember, the 5th of November--), et introspection du personnage principal, dont la nature est... déroutante!
La huitième nouvelle baigne dans une atmosphère assez malsaine, teintée de luxure, de crasse et de mauvaises pensées. Plutôt difficile à digérer, l'histoire se révèle surprenante dans sa conclusion. Rien qui, cependant, ferait crier au génie.
Ensuite, l'histoire des sorcières est bien sympa, à la fois intrigante et emprunte de réalisme. Moore essaie de donner une idée du moment qui sépare la vie et la mort. Intéressant.
Bon, dans le chapitre suivant, la ponctuation est presque inexistante, et pour être franc, j'ai pas beaucoup aimé. L'histoire d'un gars torturé par ses souvenirs, incapable de s'intégrer définitivement au présent. Quelques vers de poésie plus ou moins habiles en prime.
J'ai toujours des jarretelles, en voyage mise beaucoup sur l'humour et le second degré et ça marche plutôt bien. Un personnage totalement amoral qui tente vainement d'expliquer --entre autres-- sa polygamie. Un petit goût de monologue dramatique pas désagréable du tout.
Le roman trouve sa conclusion dans un douzième chapitre où Moore devient lui-même le personnage principal, et oscille entre histoire de Northampton, anecdotes familiales, et passages de réflexion fulgurants sur son livre. Ce voyage dans le temps se termine par trois pages où j'ai eu l'impression que le gars entrait vraiment en transe, et livrait ses pensées à brûle-pourpoint, usant d'un langage unique et presque envoutant. Encore bravo au traducteur.
Dans La Voix du Feu, Moore délivre différents univers qui forment un tout cohérent et fascinant. Dans une atmosphère très particulière, il mêle mystère, symboliques et flou presque constant de la frontière de l'iréel.
Indispensable pour les geeks et les fanboys. Incontournable pour les amateurs de littérature.